La calligraphie japonaise expliquée par Jean-Martin VINCENT
Qui mieux que Jean-Martin Vincent pour vous parler de la calligraphie japonaise ? Aquarelles, calligraphies, encens, arts olfactifs, haïkus, gouachés de bijoux… cet artiste passionné mélange les matières et les supports pour réaliser des œuvres uniques, où transparaissent son amour pour l’art, la botanique, le Japon et le beau. Processus de création, conseils pour les débutants, ou encore ressources pour les calligraphes, Jean-Martin vous partage avec une grande générosité son parcours et son expérience en tant qu’artiste, professeur et calligraphe professionnel. Si vous aimez la calligraphie ou que vous souhaitez en savoir plus, vous êtes au bon endroit.
Vous êtes artiste peintre, aquarelliste et calligraphe, et vous avez encore d’autres cordes à votre arc, quel est votre parcours pour en arriver là ?
J’ai fait des études de sciences au départ, un doctorat de pharmacologie clinique. Puis j’ai été pendant 12 ans ingénieur en toxicologie, dans un institut national. En parallèle, je fais de la musique depuis que j’ai 11-12 ans. Et à un moment donné, il a fallu choisir entre la partie artistique et scientifique. Bien entendu, j’ai pris la partie scientifique parce que c’est « plus sûr ». Puis à 40 ans, je me suis dit, « mais est-ce que c’est vraiment ce que je veux faire ? ».
En parallèle, quand j’étais ingénieur, j’étais dans un orchestre philharmonique. Je donnais des cours de flûte et j’animais aussi un atelier peinture et calligraphie dans une association dans la ville où j’étais, dans l’Oise, de façon bénévole. J’ai ensuite changé de région pour me rapprocher de la famille, qui habite en Alsace et dans les Vosges. C’était l’occasion pour moi de faire une reconversion professionnelle.
On est arrivé 15 jours avant le premier confinement. Donc quand nous sommes arrivés en Alsace, tout était fermé. ça m’a permis de rentrer tout de suite dans le travail en tant qu’artiste et calligraphe : j’ai publié beaucoup de contenu très régulièrement sur Facebook et je me suis fait mon réseau. En septembre 2022 j’ai passé mon diplôme national d’Art à l’institut des Beaux-Arts de Besançon pour asseoir ma légitimité en tant que professeur.
Artistiquement, ce qui m’anime, c'est la botanique, un petit reste de mes études, et tout ce qui va être naturel et la nature de manière générale. Ainsi que mon appétence pour tout ce qui est japonais bien sûr. Tout ça se mélange pour créer, d’un point de vue artistique, des œuvres qui combinent à la fois la botanique, l’art olfactif et le japonais. Notamment la calligraphie japonaise que je travaille absolument tous les jours. La calligraphie fait totalement partie des œuvres. Il y a toujours un petit peu du japonais quelque part (rires).
Pour la partie professeur d’aquarelle et professeur de calligraphie, ça s’est fait à partir du moment où je me suis installé comme professionnel à Sélestat. Maintenant, j'ai quand même pas mal d’élèves à l’atelier, à Colmar chez Konjaku, etc.
Ce que je trouve intéressant dans la calligraphie japonaise et dans l’enseignement du shodo, c’est que c’est un enseignement qui s’apprend toute une vie. Les participants sont des élèves qui ne cherchent pas forcément à avoir quelque chose de fini artistiquement. Mais ils vont continuer à travailler la calligraphie tout le temps parce que c’est comme une sorte de méditation finalement.
Grâce à la répétitivité du geste en calligraphie ?
Oui, car en calligraphie, il faut travailler chaque trait de façon indépendante, puis travailler des kanjis de plus en plus compliqués. Une fois qu’on les a travaillés dans un style régulier, il faut les travailler dans un style semi-cursif puis cursif.
Quand je fais des initiations, les gens comprennent, après avoir tracé deux traits, que finalement ça va être vraiment très long (rires). Effectivement, la calligraphie, c’est la répétition, la mémoire musculaire et la capacité à être conscient de ce qu’on fait. À anticiper le geste aussi. Avant qu’on pose le pinceau sur le papier, il faut presque avoir visualisé comment on va tracer le kanji en entier pour pouvoir gérer les espaces, etc. Et tout ça, c’est un apprentissage qui se fait en permanence.
Quelles sont les différences entre la méthode d’écriture pour la calligraphie japonaise et la calligraphie médiévale ou européenne ?
Il y a des choses qui se ressemblent et d’autres qui sont foncièrement différentes.
Ça va de soi, mais les outils sont différents. Pour la calligraphie européenne, sur la conception même, ce qui change, c'est qu’elle est très normée dans le sens où il y a la Caroline, la Mérovingienne, la Gothique Fraktur, la Gothique Rotunda… chaque type d’écriture est normé précisément. Après, on peut sortir de ça pour faire de la calligraphie gestuelle, que j’enseigne aussi, mais on reste toujours sur le fonctionnement des lettres classiques et normées.
La calligraphie japonaise ne répond pas à cette classification-là. Il y a l’écriture régulière qui correspond à l’écriture imprimée. Par contre, toutes les déclinaisons cursives, elles, sont dues à des maîtres calligraphes qui ont calligraphié un jour tel kanji de telle façon et qui est entré dans l’histoire. Ça ne correspond pas aux autres styles d’écriture. C’est vraiment propre à chaque calligraphe, et donc il existe des dictionnaires de shodo. En ça, c'est relativement différent.
Par contre, ce qu’on peut retrouver, c’est le geste de la lettre. Quand on est en calligraphie européenne, un A ne se trace pas n’importe comment avec la plume. Il y a un ductus (suite de gestes) précis, un ordre dans lequel on va faire les traits et qui va donner la lettre A. Evidemment les langues sont différentes donc c’est sûr que ce n’est pas tout à fait la même manière de concevoir, mais en tout cas sur la rythmique du geste, on peut y trouver des similitudes. Un peu…
Vous faites de la calligraphie, vous écrivez des haïkus et vous faites aussi des initiations au kodo chez Konjaku, je crois ?
Pour les initiations chez Konjaku, on est deux à bien connaître le kodo. Il y a Lucas (Ars Incense), qui est plutôt sur l’atelier confection d’encens. J'interviens plutôt sur la cérémonie de l’encens, donc avec les jeux japonais typiques du kodo. Mais aussi sur l’historique de l’encens et ses différentes formes. Par contre, je ne les fais pas fabriquer aux gens. Je me concentre sur la cérémonie et l’olfaction : on va chauffer les bois et essayer d’apprécier les fragrances pour déterminer quel est le type de bois qui compose l’encens.
D’où vous vient votre amour pour la culture japonaise et la calligraphie ?
Ça fait très longtemps que je suis passionné par tout ce qui est japonais.
Habituellement, on y vient par les mangas. Beaucoup de gens y viennent par ce biais-là. Moi, pas du tout, c’est plutôt par les arts traditionnels, donc en particulier la calligraphie. C’est le premier d’ailleurs que j’ai rencontré en termes d’art. Le kodo, par exemple, m’est venu pour mon intérêt par rapport à l’olfactif. Et justement, j'étais très heureux de pouvoir développer cette partie-là parce que je m’intéressais aux parfums occidentaux et parfums orientaux, dont les parfums japonais, et donc aux encens.
Après la calligraphie, j’y suis venu aussi parce que quand j’étais petit, j'aimais déjà la calligraphie européenne. J’aimais écrire avec des plumes, avec différentes choses, et j’ai voulu m’ouvrir à d’autres façons d’écrire. Et il n’y a pas 50 sortes de calligraphie, il y a la calligraphie européenne, mais aussi la calligraphie hébraïque, la calligraphie arabe et la calligraphie extrême-orientale, c’est-à-dire japonaise et chinoise.
C’est ce qui m’a intéressé le plus, parce que j’aime beaucoup le Japon, les paysages du Japon, les arts traditionnels et la philosophie et ça, je pense, c’est ce qui est le plus important, tout ce qui va tourner autour des philosophies japonaises, au-delà du bouddhisme… Et donc forcément, je me suis tourné sur le Japon plus que sur les autres.
J’ai vu sur votre site l’historique de vos œuvres. J’ai relevé des bijoux à la gouache, des Nike en vitraux, et bien d’autres choses. Vous touchez à des techniques, outils et supports vraiment différents… Qu’est-ce que vous recherchez quand vous créez une œuvre ?
J’ai comme devise : ”matériels et matériaux comme moyens d’expression artistiques.” Donc le sujet peut être très divers. Je le disais, la botanique me vient de mes études. J’aime beaucoup les baskets, je dessine d’ailleurs parfois sur ce support. Les bijoux, j'adore ça, les pierres précieuses, je suis en plein dedans, on en reparlera après.
Ce que j’apprécie, c'est de varier les connaissances techniques. Toutes les techniques à peu près m’intéressent, sauf ce qui va être en 3D. Enfin ça m’intéresse, mais je ne pratique pas la sculpture, etc. Je ne fais pas non plus tout ce qui va être informatique. L’ordinateur ne pénètre pas mon atelier, sauf là puisque je suis avec vous (rire).
Je ne fais pas de dessin graphique, ni quoi que ce soit sur tablette ou autre. J’aime vraiment le matériau. Dans la calligraphie japonaise, ce qui m’intéresse, ce sont les encres, c’est le fait de la fabriquer, d’utiliser des pinceaux avec différents types de poils, de plumes, etc. Ce qui va m’intéresser dans l’aquarelle, c'est pareil : c’est aussi d’utiliser des pigments historiques, de vrais pigments en poudre, faire mes aquarelles moi-même. J’aime réellement le matériau, et je ne retrouve pas du tout ça dans l’informatique. Il faudra sans doute que je m’y mette, mais je repousse (rire).
Pour les vitraux, c'est similaire. J’en fais moins, mais j’anime parfois des stages, car il y a des gens qui me sollicitent pour en faire. Dans le vitrail, ce qui m’intéresse,c'est de manipuler le verre, le transformer, mais encore une fois, seulement en 2D.
Vous fabriquez l’encre, les pinceaux, et cetera. Vous faites tous vos outils vous-même pour créer vos œuvres ?
Oui et non, j’en achète quand même. Quand je disais « faire mes peintures » c’est que j’achète les pigments en poudre et je les fais. Après, je n’utilise pas que ça, j’utilise aussi des peintures commerciales. Par contre, pour la calligraphie japonaise, systématiquement à tous mes cours, je fais faire aux gens leur encre au moins pour le début. Ça leur permet de rentrer dans un processus de calligraphie, c’est-à-dire qu’on prend le sumi, l’encre pour la calligraphie, et le met dans le suzuri (pierre à broyer de l’encre), en réfléchissant à ce qu’on va faire pendant les 2 heures de cours. Ça permet de rentrer dans le processus calligraphique. Moi-même, quand je fais ma séance quotidienne de calligraphie, je commence par broyer de l’encre sous ma suzuri, pour rentrer dans le processus. Et après, éventuellement, je passe sur de l’encre déjà produite.
Ça vous permet de ritualiser le processus de calligraphie japonaise…
Oui, c'est ça. Je pense que c’est absolument indispensable pour comprendre dans le processus et entrer dans une sorte d’état méditatif. Alors évidemment, normalement, pour produire suffisamment d’encre, il faudrait en broyer pendant 20 minutes pour un cours de 2 h. Il faut donc trouver le juste milieu. On en broie durant 5-10 minutes pour commencer et si les participants n’en ont plus, soit ils passent sur de l’encre liquide, soit ils en refont. Pour moi, c'est très important d’entrer dans ce processus-là. Ça fait partie du processus du shodo.
Je reviens sur les gouachés de bijoux. J’en travaille beaucoup en ce moment et je suis en lien avec un bijoutier de Sélestat, qui va réaliser les bijoux que j’ai dessinés. Il y a de nouveau un lien avec le Japon.
Il y aura des perles japonaises sur ces bijoux. Et en plus, les bijoux qui vont sortir au mois de mai seront d’inspiration japonaise. Quand je fais quelque chose qui est purement graphique ou autre, le Japon n’est pas très loin.
Le bijoutier se sert de vos dessins pour faire ses bijoux ?
C’est ça, c’est ce qu’on appelle le gouaché de bijoux. C’est vraiment l’étape préliminaire. Ça se fait plutôt chez les grands bijoutiers comme Cartier, mais là, avec ce bijoutier, on a trouvé un équilibre dans notre collaboration, pour que je puisse dessiner des bijoux et qu’il les réalise après.
Ah d’accord, je n’avais pas bien compris que c’était dans ce sens-là, car il y a souvent les bijoux à côté de vos créations sur Instagram.
Oui, c’est parce qu’en fait, on a démarré comme cela. Au fil de discussions autour des gouachés de bijoux et avoir évoqué le fait de prendre les bijoux comme modèles. Nous avons pensé à un moment donné qu’on pourrait faire l’inverse : je dessine leurs bijoux et eux les réalisent. C’est comme ça que ça s’est fait.
Parlons de vos œuvres olfacto-graphiques. Elles mélangent énormément de techniques : la partie calligraphie japonaise, une représentation florale, certaines sont accompagnées de feuilles d’or… Il y a aussi ce côté olfactif qui pour moi est contre-intuitif. J’ai du mal à imaginer qu’une œuvre puisse être liée à l’odorat. Je trouve ça génial, est-ce que vous pouvez m’en parler ?
Ça fait à peu près un an que je m’intéresse à la partie olfactive. Ça m’a toujours intéressé, mais je n’ai jamais eu le temps de creuser.
Je me suis intéressé à des philosophes qui ont travaillé sur l’olfaction de manière générale, plutôt occidentale. Et même la personne en question qui a fait un livre très intéressant sur l’olfaction et la philosophie de l’odorat, a une grosse partie sur le kodo notamment. L’olfaction est très importante pour les Japonais, ce qui correspond à ce qui m’intéresse.
L’idée au départ des tableaux que je réalise vient de loin (rires) : Kant, le philosophe, dit que quelque chose est beau grâce à sa forme, sa couleur, etc. Je simplifie. Mais il ne considère pas du tout l’odorat. Et en fait une fleur est belle par sa couleur et sa forme, mais par contre son parfum n’intervient pas dans sa beauté. Je trouve que c’est un peu dommage de dire ça. Donc, je suis parti un peu de cette hypothèse : peut-on dire qu’un parfum est beau ?
Donc l’idée était, pour les tableaux olfacto-graphiques où une fleur est dessinée en noir et blanc, de dissocier sa couleur, sa forme et son parfum. Donc j’y ajoute un parfum que j’ai fabriqué en mélangeant des huiles essentielles, qui ne sont pas forcément les parfums de la plante. Je dissocie les différentes parties, mais en fait l’œuvre en soi devient belle dans sa totalité, en y mettant les trois parties, c'est-à-dire la couleur, la forme et la partie olfactive. C’est l’hypothèse que je souhaitais démontrer.
Alors j’ai regardé un petit peu comment je pouvais faire. Je voulais vraiment intégrer le parfum à l’œuvre, mais ce n’est pas possible. En tout cas, il y a la notion d’éphémérité, et ça, ça rejoint aussi un peu un concept japonais, donc ça me plaît aussi. Les retours que j’ai eus, c’est que les gens étaient étonnés du fait que, en regardant l’œuvre et en sentant le parfum, l’œuvre venait vers eux.
Je trouve ça intéressant : ça permet de profiter de l’œuvre une première fois, avec le visuel, et de la redécouvrir en la sentant, un peu comme quand on boit un bon vin (rires). C’est assez unique de pouvoir presque sentir une œuvre.
Au-delà de ça, j’ai présenté ce travail pour mon diplôme des Beaux-Arts, j’ai réalisé des recherches chromato-olfactives, c’est-à-dire que j’y ai associé, de façon personnelle, une odeur à une couleur. Ce qui fait que quand je compose un parfum avec une œuvre, qui peut être très abstraite, je vais associer un parfum à l’œuvre en fonction des couleurs utilisées. J’ai donc une sorte de boussole.
Je l’ai fait aussi pour les encens. J’ai associé les parfums que j’ai faits, mais aussi des bois et tout ce qui va être tourné autour du kodo justement.
Ce doit être vraiment sympa de venir à une de vos expos (rires). Comment se passe la création d’une œuvre ?
J’ai beaucoup d’inspirations dans la botanique, donc c’est souvent en lien avec la partie végétale. Ça m’arrive aussi de faire l’abstrait, c’est par période. J’avais aussi tenté de réaliser le processus dans l’autre sens, de créer un parfum et de créer une œuvre graphique à partir de ce parfum. Ça peut être aussi une source d’inspiration.
Je reviens sur la calligraphie. Vous publiez dans un magazine d’art, je crois, quels conseils donneriez-vous à un débutant, ou à quelqu’un qui aimerait se lancer ?
En termes de shodo, j’avais fait un article l’année dernière sur le matériel de calligraphie japonaise et les quatre trésors du lettré. J’interviens aussi à la maison universitaire France-Japon pour faire des conférences. L’année dernière, j’étais intervenu pour faire une conférence sur les 4 trésors du lettré et cette année sur le kodo, justement.
Pour en revenir à votre question, je dirais deux choses : c’est d’avoir du bon matériel, mais ça, c'est valable pour toutes les techniques. La deuxième chose, c’est de faire preuve de persévérance. C’est surtout valable en shodo.
Je le vois systématiquement dès que je donne des cours, c’est très long pour arriver à des choses qui soient intéressantes. Ce qui est assez drôle, c'est que même si les gens ne connaissent pas le japonais, ne connaissent pas très bien la calligraphie, ils se rendent compte très rapidement des difficultés.. Ce n’est qu’au bout de nombreuses années, qu’on arrive à faire quelque chose qui va être acceptable.
À quoi faut-il faire attention quand on réalise un trait ? La pression du pinceau ? La taille du trait ?
Il y a la largeur du trait, mais aussi la largeur du trait versus l’ensemble du kanji, la pression du pinceau, c’est évident, les espaces négatifs autour, au milieu, dans les différents types de traits, et puis l’harmonie générale du kanji. Et ça, c’est une question d’habitude et de connaissance du shodo.
Je pense que c’est difficile à acquérir seul. Je ne vais pas faire une pub démesurée pour les cours (rires), mais je pense que c’est bien d’avoir quelqu’un qui a une vue sur ce qui est produit pour le corriger et corriger le geste.
Admettons qu’on arrive à réaliser un « beau » trait horizontal, est-il valable pour tous les kanjis, ou est-ce qu’il faut bien maîtriser chaque trait de chaque kanji qu’on veut apprendre ?
Alors dans le kaishu, oui, et encore. Si on fait un premier trait correct, ça ne veut pas dire que le second sera exactement pareil ou bien parallèle. Donc même si on arrive de manière générale à faire un trait correct, je dis toujours aux élèves : on commence par les gammes, c’est-à-dire que même si on va travailler sur un kanji compliqué en milieu de cours, en début de cours, ils vont commencer à refaire leurs traits horizontaux et quelques traits verticaux, pour se remettre bien dans le geste.
Donc oui et non. Oui parce qu’on peut avoir la méthode pour les traits, mais ça ne veut pas dire que parce qu’on le réussit une fois, on va le réussir dans tous les kanjis.
Vous faites des expositions, des animations d’atelier, vous faites des partenariats avec des artisans aussi, et vous êtes rédacteur dans un magazine d’art plastique. Est-ce que parmi tout ça, il y a un événement marquant ou une exposition dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous a marqué dans votre parcours ?
Il y a plusieurs choses suivant les domaines, je dirais.
Je pense que, pour la rédaction d’articles, c’est le premier que j’ai fait. C’était très intéressant d’écrire dans le magazine que j’ai acheté pendant des années. J’étais assez content (rires).
Peut-être la première grande exposition que j’ai faite en Alsace. Ça, je m’en souviens très bien parce que c’était au Haut-Koenigsbourg.
L’expo aussi aux Jardins de Gaïa était très intéressante pour moi, parce que justement, c'est la première fois où je pouvais exposer l’art grapho-olfactif.
Actuellement, les créations avec le bijoutier, c'est aussi quelque chose de très important.
Et enfin l’autre chose aussi, c’est d’être reconnu par le Consulat du Japon. C’est une forme de reconnaissance pour moi pour la partie shodo.
Avez-vous déjà fait des évènements au Japon ?
Malheureusement non, bien qu’un reportage sur une télé japonaise soit susceptible de se faire prochainement.
Ça fait quelque temps que vous faites des ateliers chez Konjaku, comment a commencé votre partenariat ?
C’est assez drôle. Au départ, il y avait le confinement. Puis à partir du moment où ça a rouvert au mois de juin, après le confinement, je me suis baladé à Colmar et je suis tombé sur la boutique. Je me souviens encore, je regardais les produits de calligraphie, puis Fabien est venu vers moi et m’a dit « vous avez besoin d’un renseignement ? ». « Oui, enfin, je vois à peu près, je suis calligraphe ». On a commencé à discuter et à sympathiser », et puis il m’a dit « si vous voulez, vous pouvez intervenir en haut dans la boutique (il y a une salle dédiée pour les intervenants). On a mis ça en place au mois de septembre ou janvier, je ne sais plus, quand c’était un peu plus libre au niveau Covid. Maintenant les élèves qui viennent sont des réguliers. Il y a 4-5 personnes qui sont inscrites et qui viennent une fois par mois. J’espère bien pouvoir en avoir d’autres, même s’il fallait mettre en place deux séances, pourquoi pas (rires).
Si on veut faire une initiation, la séance est-elle aussi ouverte aux débutants ?
Oui. On a fait deux séances purement d’initiation. Et après, même au cours de l’année, il y a des gens qui sont venus s’initier, qui n’étaient pas forcément du coin. Les gens peuvent suivre les cours à n’importe quel moment. J’ai l’habitude de m’adapter aux différents niveaux, même dans un même cours. Ils ne se sentiront pas en décalage.
Je profite du moment justement, où les habitués fabriquent leur encre et travaillent leurs gammes. J’essaye de leur envoyer le kanji qu’on va travailler avant, comme ça ils peuvent commencer. Pendant ce temps-là, ça me laisse 20 minutes à peu près pour débriefer avec les débutants, leur expliquer ce que sont les trésors du lettré, le pinceau, le sumi, etc. Leur expliquer aussi 2-3 notions de japonais pour savoir de quoi on parle et comme ça, on peut démarrer. Après, je m’adapte complètement pendant le cours.
Vous parlez japonais ?
Je suis en train d’apprendre, mais je ne peux pas dire que je le parle.
Il faut bien que les gens comprennent qu’on peut travailler la calligraphie japonaise sans connaître le japonais. Évidemment, quand ils vont travailler la calligraphie, ils vont apprendre les kanjis, mais ils ne vont pas forcément apprendre à le parler. Par contre, ils vont apprendre des mots, des structures de phrases éventuellement.
On peut prendre l’exemple de quelqu’un qui veut faire de la calligraphie européenne, avec notre alphabet latin classique. On peut calligraphier assurément du français, mais on peut aussi calligraphier du serbo-croate sans comprendre la langue. On pourra calligraphier de façon très jolie, même si on ne le comprend pas forcément. Donc connaître la totalité de la langue n’est pas nécessaire.
Y a-t-il des différences entre la calligraphie japonaise et la calligraphie chinoise ?
En termes de langue, c'est sûr parce qu’en japonais, on va pouvoir calligraphier les hiragana et les katakana qui n’existent pas en chinois.
Ce qui est différent aussi, c'est la rythmique et la gestion des espaces. Parfois, le chinois est un peu plus épais. Alors, je ne connais pas le cursif chinois. Mais de ce que je peux voir, le japonais va être plus fin.
Alors justement, pourquoi être parti plus sur la calligraphie japonaise que la calligraphie chinoise ?
Ce qui m’intéresse en japonais en fait, ce sont tous les aspects du Japon. La philosophie japonaise m’intéresse beaucoup plus. Et il y a aussi le côté hiragana : beaucoup de choses sont différentes dans la calligraphie japonaise.
Est-ce que parmi toutes vos créations, vous avez une œuvre de cœur ?
Non, je fonctionne beaucoup par série. Alors, je vais dire la dernière série sur les tableaux olfacto-graphiques, forcément, parce que c’est ce que je viens de travailler.
Vous en produisez tous les jours ?
J'ai souvent des cours entre 10h h et 16 h. Après, c'est généralement en fin d’après-midi, mais j’arrive à trouver le temps malgré tout.
Auriez-vous des ressources à conseiller à des curieux ou à des passionnés de calligraphie japonaise ?
Pour commencer, il y a les trésors du lettré de Xavier Polastron pour la partie purement technique. C’est un très bon livre sur l’histoire de l’encre. C’est plutôt orienté côté chinois, mais en même temps ce sont un peu les inventeurs de l’écriture.
Il y a aussi : Shodo, harmonie du geste et de l’esprit par la calligraphie japonaise. C’est vraiment intéressant parce qu’il parle de l’esprit de la calligraphie et je trouve cela très important. Si on n’est pas obligé de connaître le japonais, c’est important de comprendre l’esprit de la calligraphie pour se mettre dedans.
Avez-vous quelque chose à rajouter, un point que vous souhaitez développer et qu’on n’aurait pas encore évoqué ?
On n’a pas parlé des haïkus. J’aime beaucoup les haïkus de Bashô, Shiki… et j’essaye maintenant de plus en plus de créer les miens. Je trouve que c’est important d’écrire en langue japonaise. Faire les syllabes 5-7-5 en français, ça n’a pas de sens pour moi. Le japonais est une langue syllabique et c’est là où ça prend sens de faire 5-7-5. Les haïkus qui sont sur mes œuvres, j’essaye de les composer moi-même.
Vous êtes en apprentissage du japonais donc vous composez avec les mots que vous avez déjà ?
Pour l’instant, la méthode que j’applique, c'est : je le fais en français et après, je vais chercher à le faire en japonais en cherchant les mots qui peuvent correspondre. Ce que j’espère faire bientôt, c’est me faire une espèce de petit dictionnaire d'haïkus en mettant les mots qui sont importants. L’idée, ce serait de mettre les mots qu’on retrouve souvent dans les haïkus et de savoir combien de syllabes ça fait, pour qu’après, je puisse les retenir. Pour l’instant, je le pense et je l’écris en français et ensuite, je le traduis en japonais. Je fais de mon mieux, mais ça peut être un peu irrégulier parfois (rires).
J’aime bien faire ça aussi en ce moment parce que c’est une application de la calligraphie. D’ailleurs, j’ai commencé à dire aux élèves de Colmar qui sont là depuis un moment de calligraphier des haïkus. C’est important de faire des kanjis séparés, mais aussi de temps en temps d’écrire des petits textes comme ça. Et là par contre, je les prends dans les livres bilingues, comme les classiques de Bashô.
Est-ce que là aussi en calligraphie japonaise, il faut faire attention à l’espacement entre les différents kanjis ?
Ah oui complètement ! C’est la même chose pour le coup en européen, c'est-à-dire que c’est bien de travailler le A, le B, le C, mais après, il faut travailler les mots et les écarts entre les mots. Là en plus, on travaille en vertical en général, donc c’est un peu plus délicat.
J’ai vu aussi sur une de vos œuvres sur laquelle vous utilisez la calligraphie mérovingienne que vous avez courbé le texte pour lui donner des formes qui s’adaptent à une illustration. Est-ce que c’est une chose qui se fait aussi en japonais ? Je n’ai jamais vu de calligraphie japonaise autrement qu’en ligne.
Ce n’est pas classique, mais ça peut se faire. Parfois des calligraphes japonais, au même titre que des calligraphes européens, utilisent l’espace de manière originale pour en faire des choses, très souvent parfaitement illisibles. On ne cherche pas forcément la lisibilité dans la calligraphie japonaise. Ce qui est important, c'est l’harmonie générale dans le tableau.
Merci beaucoup à Jean-Martin Vincent pour cette interview, tous ses conseils et ses explications concernant la calligraphie japonaise et les différents éléments culturels nippons qui jalonnent son quotidien d’artiste. Si vous passez en Alsace, peut-être aurez-vous là chance de participer à une de ses initiations, à la boutique ou à son atelier, ou de contempler ses œuvres lors d’une de ses expositions. Si vous souhaitez retrouver tout son travail, n’hésitez pas à consulter son site internet, ainsi que ses réseaux sociaux.
Commentaires
Soyez le premier à poster un commentaire !